Lettre à Pierre

16 février
AG CATM.

« La lucidité est la blessure la plus proche du soleil » René Char

Pierre, tu me demandes de faire en sorte que les jeunes s’approprient la mémoire d’un pays au moment où presque tout devient planétaire, je crois que nous aurons du travail pour que soit intégrée comme fondamentale cette préoccupation.
Pour ce faire nous aurons à rechercher ensemble le contenu de la mémoire à transmettre, sa qualité, son universalité et sa valeur d’exemple.
Nous ne pouvons plus aujourd’hui nous lancer dans une entreprise sans en définir le sens. Nous sommes au 21° siècle en capacité de retenir ce qui construit un destin et d’en reconnaître la valeur transmissible parmi les conduites passées et leurs conséquences infiniment pénalisantes.

Le courage, la détermination, l’obéissance, la fidélité, le sens de la patrie ont été mobilisés et rudement mis à l’épreuve et parfois même utilisés à des fins discutables et parfois sans noblesse. Ceci fût gravissime et les dommages entraînés ont été très sensibles.
Chacun a son idée des guerres. Chacun a son idée de l’Histoire d’un pays. Pour avancer il faut un regard vrai, une analyse partagée, noble, sans concession, transmissible. Nous ne pouvons occulter cette étape. Elle fonde la qualité de la mémoire à faire « nôtre ».
Ces aventures toujours désastreuses souhaitées, entreprises ou subies, initiatives ou réponses qui ont façonné notre Histoire sont le témoin des étapes d’une maturation de notre pays. On ne renie pas un passé on l’accepte tel qu’il est : passage emprunté par ceux qui nous ont précédés.

Notre société vit actuellement un stade de mutation accélérée, une véritable métamorphose sur bien des plans et des registres. Nous devons accompagner ce changement de paradigme. Il s’agit d’évoluer vers un stade adulte. Nous sommes en capacité de l’entreprendre. Le temps de l’écriture d’une autre histoire nous appartient.
Ce que nous avons à transmettre est une mémoire enseignante, enrichissante, une mémoire guide. Une mémoire adulte qui a réfléchi et tiré les leçons des conduites d’hier, a acté la gravité des préjudices et bien visualisé leurs causes.

La volonté de ne pas reproduire les mêmes actes doit être notre conviction. L’est-elle ? Nous sentons-nous capables aujourd’hui de rejeter toute violence venant de notre propre initiative ? De concevoir que la haine, ce souci, cet acharnement à détruire l’autre ne nous appartient pas ou plus ? C’est notre propre mutation, notre évolution personnelle, individuelle, qui seules nous permettront de transmettre et d’écrire une mémoire d’espoir. Marcel Légaut disait : « On communie à la parole de l’autre quand l’autre l’a consacrée de sa présence ». Voulons-nous vraiment la paix ? Alors, soyons d’abord des artisans de paix !
La grande leçon qui me semble à retenir et par conséquent à faire passer en première intention, ce ne sont pas les avantages incommensurables de la Paix, mais la capacité d’imaginer comme essentielle la nécessité vitale d’une fraternité à l’échelle planétaire. Or cette capacité dépend de notre acquis culturel. Elle est fonction de l’éducation. Celle-ci conditionne la réception du message.

Or, nous sommes tellement habitués à la violence dans nos comportements, relations et mode de vie et de fonctionnement -qu’ils soient économiques, sociaux ou culturels- que l’idée de paix devient inassimilable sans remise en cause de nos modes de penser et nos manières d’enseigner et d’éduquer.
C’est donc la nécessité de relations d’un autre type qu’il y a lieu de transmettre à nos jeunes, par l’école et notre entremise d’anciens. Il faut que nous concevions que l’intégration à nos conduites de la fraternité, troisième et essentielle devise de notre République, est une évidence.
Cette révolution, car c’en est une, nécessite trois prises de conscience :
– celle de la réalité de l’existence de l’autre et de sa noblesse, égale à la nôtre,
– le discernement de l’obligation de cette démarche vitale de cohabitation,
– et le consentement à cette conduite d’accueil et de vécu partagé.

Cette analyse d’adulte doit être la nôtre.
La fraternité a en effet plusieurs composantes qui lui permettent d’exister :
– l’humilité valeur consciente, opposée à toutes les pulsions de domination ou d’orgueil,
– le goût de l’autre qui entraîne le plaisir de la découverte de richesses à partager et la reconnaissance de sa propre valeur et de ses limites,
– le goût de la vie qui interdit l’atteinte aux personnes et apprécie l’immensité de ce cadeau extraordinaire,
– et le goût de la paix qui satisfait, assure et conditionne le besoin d’exister.

Sans la paix rien ne peut se construire, l’amour, la liberté, l’égalité sont détruits et la fraternité est condamnée : évacuée du projet de société.
Reste le problème de la violence riposte à une tentative délibérée de nous exterminer ou de nous asservir (abus de la force). En ce qui me concerne je pense que l’utilisation d’une réaction violente au sens de puissante, terrible, intense, forte, est la seule possible car elle assure notre droit à exister. Cette violence, riposte ou mise en garde change radicalement de registre par rapport à celle de l’agresseur réel ou potentiel, car elle est sans haine. Elle exclut la finalité de destruction et d’asservissement de l’adversaire. Ce n’est pas son objet et tout change.

Ce qu’il me semble devoir transmettre comme mémoire à tirer de notre Histoire est cette capacité que nous avons à partir des leçons du passé, de concevoir comme projet la construction d’une fraternité contagieuse. Nous avons à la fonder sur une éducation et des conduites triviales d’où la violence est absente, source de paix et de noblesse de nos personnes, fiertés d’une Nation, fiertés d’une Patrie.
C’est d’un destin de noblesse qu’il est question, de grandeur même. L’enseignement de notre histoire étant de nos programmes scolaires, voici ce qui me semble digne, à partir de l’expérience d’un passé, de proposer comme mémoire vive à construire avec eux, à ceux qui sont nés après nous.

C F. 11-2-19